Le défi de la divisibilité monétaire, Bitcoin et la Pizza
Si la quantité de monnaie n’augmente pas, il reste malgré tout un défi de taille à relever : celui de la divisibilité de l’unité monétaire.
Comme nous l’avons vu dans un précédent article, la monnaie doit être un bien rare, à l’image des biens dont elle sert à traduire la valeur pour les agents économiques. C’est en effet le seul moyen pour le marché de calculer des prix libres qui reflètent la véritable disponibilité du capital dans la société. Nous avons également vu que la quantité totale de monnaie dans une économie n’a aucune importance, les individus s'organisent naturellement autour de cette variable en fixant entre eux, spontanément, un “prix de la monnaie". Ainsi, en théorie, une quantité fixe de monnaie ne pose ainsi pas de problème. En théorie.
Si la quantité de monnaie n’augmente pas, il reste malgré tout un défi de taille à relever : celui de la divisibilité de l’unité monétaire. En effet, l'unité monétaire doit être suffisamment divisible pour satisfaire à tous les échanges, du café en terrasse à l'achat d'un bien immobilier. Cette divisibilité est également la garantie de l’échangeabilité de la monnaie. Cette échangeabilité est primordiale et la première qualité de la monnaie pour les autrichiens, dont le père de cette école de pensée économique, Carl Menger. L’échangeabilité de la monnaie se définit par trois éléments importants : la demande de la monnaie, son accumulation et son acceptation par les acteurs économiques. De ce fait, la divisibilité de l’unité monétaire forme certainement un prérequis essentiel pour toute monnaie émergente. Elle est essentielle pour limiter le plus possible les frictions dans le marché, fluidifier les échanges et ainsi accroître la demande et l’échangeabilité de la monnaie dans le marché libre.
L’or, rare mais difficilement divisible
Historiquement, aucune des monnaies marchandises utilisées par l’humanité n’est parvenue à conjuguer convenablement rareté et divisibilité. C’est le cas de l’or. Bien que rare, l'or n’a eu de cesse de faire appel à d’autres monnaies marchandises et autres substituts monétaires pour répondre à son manque de divisibilité nécessaire aux échanges. Cela a notamment été le cas avec les autres monnaies métalliques, comme le bronze ou l’argent. La cause ? L’or possède tout simplement un pouvoir d’achat par unité de poids beaucoup plus élevé que l’argent et les autres métaux. Ainsi, dans ces anciens systèmes monétaires trimétalliques ou bimétalliques, c’est la forme dite des pièces divisionnaires qui a été utilisée pour pallier l’incapacité de l’or à être un intermédiaire efficace pour l’ensemble des échanges de l’économie. La principale qualité de l’or, sa rareté, est la source de sa plus grande faiblesse : son manque de divisibilité.
“Au Moyen-âge, les pièces d’or, d’argent et de cuivre, au même titre que les pièces réalisées à partir d’un alliage, circulaient au sein de réseaux d’échange qui se chevauchaient. Dans la plupart des régions et à la plupart des époques de l’histoire de l’Europe occidentale, les pièces d’argent étaient les plus répandues et dominaient dans les paiements quotidiens, tandis que les pièces d’or étaient utilisées pour des paiements plus importants.” J.G Hülsmann
Ce recours à d’autres métaux était obligatoirement accompagné d’un cours légal fixe entre les monnaies afin de maintenir une parité stable entre elles. Nous parlons alors d’un cours forcé, ou d’une équivalence forcée, décidé de manière discrétionnaire par l’autorité publique. Très souvent, ce cours légal ne respectait pas la réalité des cours commerciaux et les prix de marché des métaux ni même la différence qualitative des différentes pièces de monnaie en circulation qui, bien que de qualités différentes, avait le même prix, c’est à dire le même pouvoir d’achat décrété par la puissance publique.
L’un des exemples historiques les plus connus est la manipulation par l’Empire romain de sa monnaie officielle, le denarius (denier d’argent), qui n’a eu de cesse d’être dévalué à mesure que l’Empire sombrait vers sa chute. Ce système divisionnaire, corollaire de l’étalon or, était également nécessaire pour s'affranchir des coûts supplémentaires liés à la division de l’or en trop petites quantités. Par exemple, un centième d'once d'or peut coûter environ 75% de plus que la valeur de l’once. Ceci est dû aux frais de fabrication supplémentaires et au premium que représente l’assurance de l’authenticité d’utiliser de véritables sous-multiples d’une once d’or, attestés et validés par l’autorité publique.
A la fin du 19ème siècle, avec l'avènement des télécommunications et de la première mondialisation (1880-1914), les substituts métalliques à l’or ne suffisent plus pour satisfaire le règlement final de transactions qui s’effectuent de plus en plus rapidement. A cette période, les substituts papiers à l’or se multiplient sous toutes leurs formes ; certificats de dépôt, billets de banque, comptes chèques etc… La monnaie papier présente plusieurs avantages, celui par exemple de faciliter les échanges et d’assurer une divisibilité dont l’or est incapable. De plus, la disparition des échanges physiques de l’or au profit du papier monnaie va révéler toutes les limites de l’or, dont l’indispensable centralisation progressive des réserves d’or dans les coffres des institutions bancaires, des banques commerciales d’abord puis finalement des banques centrales.
Une transition facilitée vers la monnaie fiat
L’autre effet pervers de ce recours aux substituts monétaires a été de modifier la perception même de la monnaie par les acteurs économiques. Sous l’étalon-or, chaque monnaie nationale (le dollar, la livre, le mark, le franc, etc.) n’était que le nom d’un poids d'or précis. Grâce à l’étalon-or international, le monde avait donc une monnaie unique. Le monde bénéficiait alors des avantages liés à une telle monnaie, principalement celui d’avoir des taux de change fixes entre les monnaies nationales qui ne pouvaient pas être manipulés par le pouvoir politique.
Cependant, les individus n'utilisaient pas l’or dans leurs échanges quotidiens, mais bien la “monnaie nationale”. Cela a eu pour conséquence de faciliter la transition en 1914 de l’étalon or vers un système monétaire fiat dans lequel la monnaie était intégralement soumise au pouvoir politique. Pour les acteurs économiques, entre 1913 et 1914, la monnaie papier utilisée restait la même et avec elle ce faux sens de la sécurité d’avoir durant la guerre une monnaie tout aussi dure et fiable que durant la “Belle Epoque”. En empêchant sa circulation dans l'économie, le manque de divisibilité de l’or a donc facilité la transition vers le système monétaire fiat.
“Nous voyons à présent pourquoi il vaut mieux éviter d’utiliser des noms patriotiques ou nationalistes pour désigner l’once ou le grain d’or. Si l’on remplace les unités de poids internationales par ces dénominations, il devient beaucoup plus facile pour l’État de manipuler l’unité monétaire en faisant croire qu’elle évolue toute seule.” - Murray Rothbard
Si l’or n’a pas réussi à être suffisamment divisible dans l’histoire, il faut également reconnaître qu’il ne réussira pas à être un bon intermédiaire d’échange dans un monde déflationniste. Monde dans lequel la qualité première de la monnaie sera d’être divisible pour refléter les gains de productivité permis par l’amélioration de la technologie et de la technique. C’est pour cette raison par exemple que certains auteurs avisés et défenseurs des étalons monétaires métalliques considèrent l’argent comme la monnaie marchandise métallique par excellence, supérieure à l’or, car plus échangeable et plus adapté pour les échanges du quotidien.
Bitcoin et la Pizza : Diviser n’est pas diluer
Pour toutes ces raisons, le retour d’un étalon monétaire basé sur l’or est donc une mauvaise idée. Aujourd’hui, une meilleure solution existe, c’est Bitcoin. Contrairement à l’or, Bitcoin présente l’avantage d’être suffisamment divisible. Pour la première fois, l’humanité a à portée de main un intermédiaire d’échange rendant possible un monde véritablement déflationniste.
La divisibilité du bitcoin peut être expliquée de manière simple en utilisant l'analogie connue de la pizza. Imaginons qu'une pizza entière représente 1 BTC. Tout comme une pizza peut être découpée en parts, un bitcoin peut être divisé en unités plus petites, les satoshis. Un Bitcoin étant composé de 100 millions de satoshis, il peut être divisé en autant de parts. En étant divisible jusqu'à la huitième décimale, Bitcoin a l’avantage d’être flexible et de couvrir ainsi un grand ensemble de transactions
Cette grande divisibilité d’un bitcoin lui donne la possibilité d'effectuer des micro-transactions même en cas d’augmentation importante de la valeur du bitcoin au fil des années. En effet, même si le prix d'un bitcoin devenait aussi élevé que celui d'une maison, il serait toujours possible d'utiliser ses fractions pour acheter des biens moins onéreux, comme une pizza. Cette grande flexibilité permis par une divisibilité suffisante de l’unité entière permet au protocole d’être à la fois une mesure de la valeur pertinente pour l’économie et un moyen d’échange pertinent pour les individus.
Une question hypothétique demeure : qu'adviendrait-il si, un jour, la valeur d’un satoshi devenait trop forte pour pouvoir effectuer les plus petits paiements de l’économie ? Dans une telle éventualité, pour plusieurs raisons évidentes, le choix du consensus se porterait sur la divisibilité plutôt que sur l'inflation de l'offre. En effet, le protocole Bitcoin n'est pas statique, il est évolutif et peut être modifié pour l'améliorer ou corriger des problèmes. Il convient toutefois de rappeler que le processus de changement du protocole est délibérément laborieux et complexe, afin de garantir la stabilité et la sécurité du réseau à long terme. C'est tout le débat actuel sur l'ossification du réseau.
Si un jour le réseau s’accorde à diviser davantage un bitcoin, comme passer de 100 millions à 1 milliard de satoshis par exemple, il est crucial de souligner que tous les détenteurs de bitcoins verraient le pouvoir d’achat de leurs bitcoins et satoshis augmenter de manière égale et instantanée. C’est l’une des grandes vérités de la déflation : en provoquant une hausse du pouvoir d’achat de la monnaie, celle-ci bénéficie également à tous ses détenteurs.
C’est précisément le contraire de l’inflation qui favorise une classe privilégiée et engendre une hausse des prix inégale dans l’économie, impactant différemment l’ensemble des acteurs économiques. En effet, l’inflation favorise toujours les acteurs économiques pouvant capter la nouvelle monnaie créée en premier. Ceux-ci peuvent continuellement acheter les biens au prix antérieur du marché, avant que les prix n'augmentent inévitablement. Les autres acteurs économiques, comme les employés touchant des salaires fixes, sont quant à eux les grands perdants de l’inflation.
Un nouveau paradigme : un monde déflationniste
La divisibilité ne remet donc pas en cause la rareté de la monnaie ; elle n'est pas synonyme d'inflation ou de dilution monétaire. Au contraire, la divisibilité permet à la monnaie de s’apprécier en même temps que s’améliore la structure de l’économie. Ainsi, la déflation permet à l'ensemble des individus de profiter de la déflation naturelle des prix permise par le progrès technologique et technique. N’oublions jamais que la véritable, et traditionnelle, définition de la déflation est l'augmentation naturelle du pouvoir d'achat de la monnaie causée par une hausse parallèle de la productivité et/ou une augmentation de la demande en monnaie.
Mais ne nous trompons pas : un nouveau paradigme est possible grâce à la divisibilité unique que propose Bitcoin, celui de la déflation. Dans un prochain article, nous explorerons cette question à travers les travaux de deux auteurs, Guido Hülsmann et Jeff Booth, afin de comprendre pourquoi et comment la déflation représente une force libératrice pour l’économie et l’humanité.